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J’aurais pu passer ma vie entière sans lire ce livre si je ne l’avais pas trouvé dans la « boîte à lire » de mon quartier. Et je me suis dit « Pourquoi pas le commencer, on verra bien. »

C’est après beaucoup de pauses et pas mal d’autres lectures plus passionnantes à mes yeux que je suis venu à bout de ce pourtant court recueil de nouvelles de Vercors ; nom de plume de Jean Bruller (1902-1991).

La nouvelle Le Silence de la mer, à dire vrai, j’en avais entendu parler il y a des années mais le sujet ne m’avait pas emballé. Une histoire sous l’occupation allemande pendant la guerre de 39-45… Des hôtes qui décident de ne pas adresser la parole à l’officier qui s’incruste chez eux… Je me disais « Ouais, dans le genre acte de résistance, on a vu mieux. » Dans le meilleur des cas, on à affaire à des français mutiques qui font la gueule à l’occupant. Dans le pire des cas, on a affaire à des français pusillanimes qui font profil bas et ferment leur gueule pour ne pas contredire leur hôte. Attention, c’est le genre de pensées que j’avais concernant le sujet de ce livre avant de l’avoir lu. Mais comme les commentateurs avisés de l’œuvre le soulignent, ce texte est très marqué dans le temps, la nouvelle a été écrite en 1941, à un moment où l’occupant montrait un visage poli et où encore aucune exaction n’avait été commise, hormis j’imagine les actions de guerre inhérentes à la conquête du territoire français ; les horreurs viendraient plus tard, les résistants fusillés, les rafles, les déportations, etc., et comme chacun sait seraient autant le fait du régime de Vichy que de l’occupant.

J’ai commencé par lire la nouvelle principale du recueil, avec peu d’enthousiasme et peut-être un brin impressionné par ce nom devenu si connu. J’avançais de quelques pages, ça et là, oubliais le livre dans une pile, le cherchais pour le continuer à la laverie, l’oubliais de nouveau, le retrouvais et me promettais de le finir. Et le jour est arrivé, péniblement, où j’allais pouvoir dire que j’avais lu la fameuse nouvelle de Vercors : le Silence de la mer. Mais le recueil comprenait quelques nouvelles de plus. Allez, oui, j’allais bien réussir à finir ce bouquin ? Des nouvelles, c’est vite lu. C’était sans compter sur la teneur des textes qui allaient suivre. Déjà, Ce jour-là (la deuxième nouvelle), c’est plutôt triste… Mais alors Le Songe… (La troisième nouvelle) J’ai été pas mal secoué par cette nouvelle-ci et j’ai dû marquer de nouveau une pause dans ma lecture.

En lisant la première nouvelle de Vercors, je n’ai pas été détrompé. L’auteur peint un occupant courtois, humain, cultivé, qui contraste avec la brutalité de la guerre, et des français qui se contentent de ne pas lui parler pour marquer leur désapprobation à cette « occupation » de leur demeure et de leur pays. Je ne suis pas étonné que, du vivant de l’auteur, quelques voix se soient élevées pour se questionner sur le sens de ce texte. N’était-il pas écrit par un foutu collabo ? La réponse est non, bien sûr : Vervors fut au contraire un résistant. Mais son Silence de la mer, écrit en 1941 et publié en 1942, pouvait laisser un doute dans l’esprit du lecteur de l’époque, car, encore une fois, ses personnages, ces français silencieux face à l’occupant, pouvaient passer pour des lâches qui laissent faire, qui se contentent de subir la présence de l’oppresseur en silence. Or, le silence digne est loin de suffire face à l’oppression.

Avec le recul, Vercors n’a bien sûr pas mal fait d’écrire ce texte, même s’il est équivoque. Les autres nouvelles adjointes à cette première donnent une toute autre tonalité au recueil. Le Songe notamment a été un vrai choc. Il y est clairement question du cauchemar de la Shoah. Là, l’auteur ne dit plus « Face à cet occupant, taisons-nous », il dit « Sortons de notre wagon plombé sans fenêtres », belle image qu’il faut comprendre ainsi : ouvrons les yeux sur ce qui se passe dans le monde, sur les cruautés innombrables qui s’y commettent. Ce texte est fort et poignant. Nous sommes tous, moi y compris, dans cette dynamique qui consiste à juste s’occuper de soi, à profiter de la vie, à profiter de notre confort, et à fermer les yeux sur ce qui ne tourne pas rond dans le monde. Et malheureusement, quand on ne s’occupe que de notre nombril, c’est à ce moment-là que les politiques en profitent pour faire les pires saloperies ; et comme on ne veut pas voir, on laisse faire*.

Ce que j’ai aimé dans ce livre, c’est peut-être qu’il a su, dans un temps grave, sentir qu’il fallait écrire quelque chose à la mesure du temps et des circonstances.

La quatrième nouvelle du recueil, intitulée L’impuissance, est un beau texte aussi, qui montre combien, si on est un peu sensible, on peut être frappé de voir que la culture n’est malheureusement souvent qu’une couverture servant à cacher la bestialité et la brutalité humaine. Les Américains ont produit la série Friends, mais ils ont aussi été les gendarmes du monde pendant des décennies, avec les actions militaires douteuses qui vont avec. J’adore la culture américaine, leurs films, leurs séries télés, mais franchement, leur politique extérieure ne laisse-t-elle pas à désirer ? C’était juste un exemple. Ce que je veux dire c’est que c’est bien joli d’avoir des artistes à foison dans un pays, encore faut-il tenir ses soldats.

Et je reviens donc à cette figure de soldat allemand qui se révèle être une personne sensible, personnage ô combien improbable. On est en plein dedans : à quoi bon avoir de la culture si on se conduit comme une bête, si on va guerroyer et opprimer un autre peuple ? Ce Werner von Ebrennac, il est complètement schizo, dirait-on aujourd’hui : c’est un homme sensible, un musicien, un compositeur, mais il a endossé l’uniforme allemand, il fait la guerre. Objectivement, c’est un pur personnage de fiction car dans la réalité j’ai peine à imaginer qu’un seul des Allemands qui ont foulé le sol français entre 1939 et 1944 ait eu la moindre sensibilité. S’il existait des allemands sensibles et cultivés à l’époque je pense qu’ils étaient soit exilés soit communistes et emprisonnés.

Mais… Pourtant… Je crois que Vercors a su voir au delà de la guerre. Peut-être s’est-il dit, un jour lointain, cette guerre ne sera plus qu’un souvenir, la paix règnera et alors il faudra se souvenir qu’un Allemand peut être sensible, peut être cet « homme qui à l’air convenable ». Le Werner von Ebrennac de Vercors, c’est l’Allemagne intemporelle, de même que ses hôtes silencieux sont la France intemporelle. C’est sans doute pourquoi l’auteur « imagine » cette courtoisie bavarde et ce silence qui lui répond, sans doute pourquoi il ne rue pas dans les brancards, parce qu’il est conscient que ce moment n’aura qu’un temps, que la France et l’Allemagne passeront à autre chose.

Le bémol : la cinquième nouvelle Le cheval et la mort est une courte farce qui n’apporte rien au recueil, qui en abaisse même la qualité globale, je pense.

La sixième nouvelle, L’imprimerie de Verdun est intéressante en ce qu’elle montre un travers très français qui fait détester certaines personnes en général mais en tolérer voire en apprécier certaines en particulier. C’est un peu comme ce personnage du film La crise…

Enfin, La marche à l’étoile, la septième et dernière nouvelle, est un beau texte, plutôt heureux dans son commencement, qui dépeint une espèce d’homme rare, un patriote de l’extérieur. Un homme qui aime la France, vient s’y établir, fait sa vie dans le pays, et fini mal récompensé de son amour pour la « patrie » (terme utilisé par l’auteur ; autant vous dire tout de suite que je n’emploie jamais ce mot), mais là je spoile.

Petite remarque sur la forme, je note que dans la nouvelle Le Silence de la mer, Vercors est très attaché à décrire des petits gestes, surtout de la nièce, qui viennent « parler à sa place » ; on est un peu dans l’idée d’un langage du corps qui viendrait trahir ce que l’on pense malgré nous. Enfin, c’est une manière habile de palier à l’absence de dialogue, mais c’est peut-être aussi un besoin de l’auteur de décrire, de montrer les attitudes ; il était illustrateur avant d’être auteur.

J’ai eu la curiosité de chercher à voir des adaptations. Il y a un film qui date de 1947-49 que je n’ai pas vu. Il y a un téléfilm avec Galabru que j’ai vu peu avant d’écrire ces lignes. C’est une adaptation très libre du Silence de la mer, qui incorpore des événements de la nouvelle Ce jour-là. Les scénaristes, sans complètement trahir Vercors, ont beaucoup coupé dans les monologues de l’officier allemand mais par ailleurs ils ont aéré ce huis-clos en plaçant l’action au cœur du village plutôt que dans la maison où l’officier est accueillit. Et ils ont allègrement ajouté un peu d’action et de résistance active pour pimenter le tout. C’est une adaptation… au goût du jour on va dire. Pas désagréable à regarder, plutôt bien interprétée. Ce téléfilm a l’avantage de montrer une jeune française plus éprise de l’officier allemand que le laisse à penser le texte de Vercors ; l’héroïne étant peu démonstrative.

Qu’est-ce que je n’ai pas dit : Les Editions de Minuit tirent leur origine de la volonté de Vercors et d’un ami à lui (Pierre de Lescure) de continuer de faire entendre la voix de la France littéraire malgré l’occupation. J’avais déjà lu plusieurs livres de cette maison d’édition (de Beckett, de Duras, de Sarraute) ; raison de plus pour continuer.

En conclusion : c’est une lecture qui a compté. Cela valait le coup de dépasser mes préjugés et de voir par moi-même. La meilleure manière d’aborder un livre, c’est d’oublier tous les intermédiaires, tout ce que tu as pu en entendre, de te retrouver en face de l’écrit de l’auteur, tout seul, et de lire…

Si j’avais à mettre une note à ce livre sur cinq, je dirais 3,5 ou 4, pas plus parce que le sujet ne porte pas à la joie, on l’aura compris, et la cinquième nouvelle m’a franchement déplu.

Mais peu importe mon avis : plus de trois millions d’exemplaires de ce livre se sont vendus en livre de poche, preuve que Vercors a su se faire une place dans bien des bibliothèques.

Et toi, tu l’as lu ? Ou je t’ai donné envie de le lire ? Tu peux laisser un commentaire pour donner ton avis.

  • Titre : Le Silence de la mer et autres récits
  • Auteur : Vercors
  • Édition : La librairie générale française.
  • Collection : Le livre de poche, 2001.
  • Nombre de pages : 188
  • La nouvelle principale a été éditée pour la première fois en 1942 aux Éditions de Minuit.
  • Note : 3,5/5

* Pardon pour la digression éminemment politique qui suit, que j’ai d’ailleurs décidé d’écarter en fin d’article. N’hésitez pas à me dire si vous pensez qu’elle est de trop :

Un jour, face à l’histoire, ces hommes de pouvoir qui donnent des ordres insensés, ils seront jugés, et alors peu importe s’ils avaient la jolie figure d’un Macron. J’espère vraiment que les générations futures se souviendront que sous sa présidence, des manifestants ont été blessés, éborgnés, entôlés, juste parce qu’ils exerçaient leur droit de manifester, et ce dans un pays qui s’est longtemps prévalu d’être « le pays des droits de l’homme ». Afin de couper l’herbe sous le pied à tout haineux potentiel susceptible de me détester pour ce que je viens d’écrire (« hater » qui risquerait à tort de conclure que je suis dans le camp des gilets jaunes), pour information : je n’ai pas participé à une manifestation depuis 2010.

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Hervé Sors

Éternel apprenti auteur.
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